Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/309

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mants et de rubis ; son cheval était peint en rouge et chargé de plumes. Il avait à sa suite une compagnie de gardes polonais habillés de rouge et de jaune, portant de grands manteaux à manches longues qu’ils laissaient pendre négligemment sur l’épaule. Les seigneurs polonais qui l’escortaient étaient vêtus de brocart d’or et d’argent, et l’on voyait flotter derrière leur tête rasée une seule mèche de cheveux qui leur donnait un aspect asiatique et tartare aussi inconnu de la cour de Louis XIII que celui des Moscovites. Les femmes trouvaient tout cela un peu sauvage et assez effrayant.

Marie de Gonzague était importunée des saluts profonds et des grâces orientales de cet étranger et de sa suite. Toutes les fois qu’il passait devant elle, il se croyait obligé de lui adresser un compliment à moitié français, où il mêlait gauchement quelques mots d’espérance et de royauté. Elle ne trouva d’autre moyen de s’en défaire que de porter plusieurs fois son mouchoir à son nez en disant assez haut à la Reine :

— En vérité, madame, ces messieurs ont une odeur sur eux qui fait mal au cœur.

— Il faudra bien raffermir votre cœur, cependant, et vous accoutumer à eux, répondit Anne d’Autriche un peu sèchement.

Puis tout à coup, craignant de l’avoir affligée :

— Vous vous y accoutumerez comme nous, continua-t-elle avec gaieté ; et vous savez qu’en fait d’odeurs je suis fort difficile. M. Mazarin m’a dit l’autre jour que ma punition en purgatoire serait d’en respirer de mauvaises, et de coucher dans des draps de toile de Hollande.

Malgré quelques mots enjoués, la Reine fut cependant fort grave, et retomba dans le silence. S’enfonçant dans son carrosse, enveloppée de sa mante, et ne prenant en apparence aucun intérêt à tout ce qui se passait autour