Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/33

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puisque de semblables dépenses ne pouvaient sortir que des mains riches, et que l’or ne vient que des mines. Les grandes maisons que l’on détruit avec tant d’acharnement n’étaient point ambitieuses, et souvent, ne voulant aucun emploi du gouvernement, tenaient leur place à la cour par leur propre poids, existaient de leur propre être, et disaient comme l’une d’elles : Prince ne daigne, Rohan je suis. Il en était de même de toute famille noble à qui sa noblesse suffisait, et que le roi relevait lui-même en écrivant à l’un de mes amis : L’argent n’est pas chose commune entre gentilshommes comme vous et moi.

— Mais, monsieur le maréchal, interrompit froidement et avec beaucoup de politesse M. de Launay, qui peut-être avait dessein de l’échauffer, cette indépendance a produit aussi bien des guerres civiles et des révoltes comme celles de M. de Montmorency.

— Corbleu ! monsieur, je ne puis entendre parler ainsi ! dit le fougueux maréchal en sautant sur son fauteuil. Ces révoltes et ces guerres, monsieur, n’ôtaient rien aux lois fondamentales de l’État, et ne pouvaient pas plus renverser le trône que ne le ferait un duel. De tous ces grands chefs de parti il n’en est pas un qui n’eût mis sa victoire aux pieds du roi s’il eût réussi, sachant bien que tous les autres seigneurs aussi grands que lui l’eussent abandonné ennemi du souverain légitime. Nul ne s’est armé que contre une faction et non contre l’autorité souveraine, et, cet accident détruit, tout fût rentré dans l’ordre. Mais qu’avez-vous fait en nous écrasant ? vous avez cassé les bras du trône et ne mettrez rien à leur place. Oui, je n’en doute plus à présent, le Cardinal-duc accomplira son dessein en entier, la grande noblesse quittera et perdra ses terres, et, cessant d’être la grande propriété, cessera d’être une puissance ; la cour n’est déjà plus qu’un palais où l’on sollicite : elle deviendra