Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/375

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ainsi dire, à son état naturel, qui donne le calme que vous voyez dans bien des yeux qui ont eu leurs larmes aussi ; car il est peu de femmes qui n’aient connu les vôtres. Vous vous trouveriez parjure en renonçant à Cinq-Mars ? Mais rien ne vous lie ; vous vous êtes plus qu’acquittée envers lui en refusant, durant plus de deux années, les mains royales qui vous étaient présentées. Eh ! qu’a-t-il fait, après tout, cet amant si passionné ? Il s’est élevé pour vous atteindre ; mais l’ambition, qui vous semble ici avoir aidé l’amour, ne pourrait-elle pas s’être aidée de lui ? Ce jeune homme me semble être bien profond, bien calme dans ses ruses politiques, bien indépendant dans ses vastes résolutions, dans ses monstrueuses entreprises, pour que je le croie uniquement occupé de sa tendresse. Si vous n’aviez été qu’un moyen au lieu d’un but, que diriez-vous ?

— Je l’aimerais encore, répondit Marie. Tant qu’il vivra, je lui appartiendrai, Madame.

— Mais tant que je vivrai, moi, dit la Reine avec fermeté, je m’y opposerai.

À ces derniers mots, la pluie et la grêle tombèrent sur le balcon avec violence ; la Reine en profita pour quitter brusquement la porte et rentrer dans les appartements, où la duchesse de Chevreuse, Mazarin, Mme  de Guéménée et le prince Palatin attendaient depuis un moment. La Reine marcha au-devant d’eux. Marie se plaça dans l’ombre près d’un rideau, afin qu’on ne vît pas la rougeur de ses yeux. Elle ne voulut point d’abord se mêler à la conversation trop enjouée ; cependant quelques mots attirèrent son attention. La Reine montrait à la princesse de Guéménée des diamants qu’elle venait de recevoir de Paris.

— Quant à cette couronne, elle ne m’appartient pas, le Roi a voulu la faire préparer pour la future Reine de Pologne ; on ne sait qui ce sera.