Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/384

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dans les cœurs vigoureux qui ont conservé leur force sous le voile des formes sociales ! Quand la jeunesse et le désespoir viennent à se réunir, on ne peut dire à quelles fureurs ils se porteront, ou quelle sera leur résignation subite ; on ne sait si le volcan va faire éclater la montagne, ou s’il s’éteindra tout à coup dans ses entrailles.

De Thou épouvanté releva son ami, le sang ruisselait par ses narines et ses oreilles ; il l’aurait cru mort si des torrents de larmes n’eussent coulé de ses yeux ; c’était le seul signe de sa vie : mais tout à coup il rouvrit ses paupières, regarda autour de lui, et, avec une force de tête extraordinaire, reprit toutes ses pensées et la puissance de sa volonté.

— Je suis en présence des hommes, dit-il, il faut en finir avec eux. Mon ami, il est onze heures et demie ; l’heure du signal est passée ; donnez pour moi l’ordre de rentrer dans les quartiers ; c’était une fausse alerte que j’expliquerai ce soir même.

De Thou avait déjà senti l’importance de cet ordre : il sortit et revint sur-le-champ ; il retrouva Cinq-Mars assis, calme, et cherchant à faire disparaître le sang de son visage.

— De Thou, dit-il en le regardant fixement, retirez-vous, vous me gênez.

— Je ne vous quitte pas, répondit celui-ci.

— Fuyez, vous dis-je, les Pyrénées ne sont pas loin. Je ne sais plus parler longtemps, même pour vous ; mais si vous restez avec moi vous mourrez, je vous en avertis.

— Je reste, dit encore de Thou.

— Que Dieu vous préserve donc ! reprit Cinq-Mars, car je n’y pourrai rien, ce moment passé. Je vous laisse ici. Appelez Fontrailles et tous les conjurés, distribuez-leur ces passe-ports, qu’ils s’enfuient sur-le-champ : dites-leur que tout est manqué et que je les remercie. Pour