Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/413

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— Il n’y a point de bienfaits en politique, il y a des intérêts, voilà tout. Un homme employé par un ministre ne doit pas être plus reconnaissant qu’un cheval monté par un écuyer ne l’est d’être préféré aux autres. Mon allure lui a convenu, j’en suis bien aise. À présent, il me convient de le jeter à terre.

« Oui, cet homme n’aime que lui-même ; il m’a trompé, je le vois bien, en reculant toujours mon élévation ; mais encore une fois, j’ai des moyens sûrs de vous faire évader sans bruit ; je peux tout ici. Je ferai mettre, à la place des hommes sur lesquels il compte, d’autres hommes qu’il destinait à la mort, et qui sont ici près, dans la tour du Nord, la tour des oubliettes, qui s’avance là-bas au-dessus de l’eau. Ses créatures iront remplacer ces gens-là. J’envoie un médecin, un empirique qui m’appartient, au glorieux Cardinal, que les plus savants de Paris ont abandonné ; si vous vous entendez avec moi, il lui portera un remède universel et éternel.

— Retire-toi, dit Cinq-Mars, retire-toi, religieux infernal ! aucun homme n’est semblable à toi ; tu n’es pas un homme ! tu marches d’un pas furtif et silencieux dans les ténèbres, tu traverses les murailles pour présider à des crimes secrets ; tu te places entre les cœurs des amants pour les séparer éternellement. Qui es-tu ? tu ressembles à l’âme tourmentée d’un damné.

— Romanesque enfant ! dit Joseph ; vous auriez eu de grandes qualités sans vos idées fausses. Il n’y a peut-être ni damnation ni âme. Si celles des morts revenaient se plaindre, j’en aurais mille autour de moi, et je n’en ai jamais vu, même en songe.

— Monstre ! dit Cinq-Mars à demi-voix.

— Voilà encore des mots, reprit Joseph ; il n’y a point de monstre ni d’homme vertueux. Vous et M. de Thou, qui vous piquez de ce que vous nommez vertu, vous