Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/459

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— Telle vient d’être, poursuivit Corneille, la fin de ces deux jeunes gens que vous vîtes naguère si puissants. Leur dernier soupir a été celui de l’ancienne monarchie ; il ne peut plus régner ici qu’une cour dorénavant ; les Grands et les Sénats sont anéantis[1].

— Et voilà donc ce prétendu grand homme ! reprit Milton. Qu’a-t-il voulu faire ? Il veut donc créer des républiques dans l’avenir, puisqu’il détruit les bases de votre monarchie ?

— Ne le cherchez pas si loin, dit Corneille ; il n’a voulu que régner jusqu’à la fin de sa vie. Il a travaillé pour le moment, et non pour l’avenir ; il a continué l’œuvre de Louis XI, et ni l’un ni l’autre n’ont su ce qu’ils faisaient.

L’Anglais se prit à rire.

— Je croyais, dit-il, je croyais que le vrai génie avait une autre marche. Cet homme a ébranlé ce qu’il devait soutenir, et on l’admire ! Je plains votre nation.

— Ne la plaignez pas ! s’écria vivement Corneille ; un homme passe, mais un peuple se renouvelle. Celui-ci, monsieur, est doué d’une immortelle énergie que rien ne peut éteindre : souvent son imagination l’égarera ; mais une raison supérieure finira toujours par dominer ses désordres.

Les deux jeunes et déjà grands hommes se promenaient en parlant ainsi sur cet emplacement qui sépare la statue de Henry IV de la place Dauphine, au milieu de laquelle ils s’arrêtèrent un moment.

— Oui, monsieur, poursuivit Corneille, je vois tous les soirs avec quelle vitesse une pensée généreuse retentit dans les cœurs français, et tous les soirs je me retire heu-

  1. On appelait le parlement sénat. Il existe des lettres adressées à Monseigneur de Harlay, prince du Sénat de Paris, et premier juge du royaume.