Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/490

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le sang de M. de Cinq-Mars qui y estoit resté. Après, il mit son col sur le poteau, qu’un frère jésuite avoit torché de son mouchoir, parce qu’il estoit tout mouillé de sang, et demanda à ce frère s’il estoit bien, qui lui dit qu’il falloit qu’il avançast mieux sa tête sur le devant, ce qu’il fit. En même temps, l’exécuteur, s’apercevant que les cordons de sa chemise n’estoient point déliés et qu’ils lui tenoient le col serré, lui porta la main au col pour les dénouer ; ce qu’ayant senti, il demanda : « Qu’y a-t-il ? faut-il encore oster la chemise ? » et se disposoit déjà à l’oster. On lui dit que non, qu’il falloit seulement dénouer les cordons ; ce qu’ayant fait il tira sa chemise pour découvrir son col et ses épaules, et, ayant mis sa tête sur le poteau, il prononça ses dernières paroles, qui furent : Maria, mater gratiæ, mater misericordiæ… ; puis In manus tuas… et lors ses bras commencèrent à trembloter en attendant le coup, qui lui fut donné tout en haut du col, trop près de la tête, duquel coup son col n’étant coupé qu’à demi, le corps tomba du costé gauche du poteau, à la renverse, le visage contre le ciel, remuant les jambes et haussant foiblement les mains. Le bourreau le voulut renverser pour achever par où il avoit commencé ; mais, effrayé des cris que l’on faisoit contre lui, il lui donna trois ou quatre coups sur la gorge, et ainsi lui coupa la tête, qui demeura sur l’échafaud.

L’exécuteur, l’ayant dépouillé, porta son corps, couvert d’un drap, dans le carrosse qui les avoit amenés ; puis il y mit aussi celui de M. de Cinq-Mars et leurs têtes, qui avoient encore toutes deux les yeux ouverts, particulièrement celle de M. de Thou, qui sembloit être vivante. De là, ils furent portés aux Feuillans, où M. de Cinq-Mars fut enterré devant le maître-autel, sous le balustre de ladite église, par la bonté et autorité de M. du Gay, trésorier de France en la généralité de Lyon. M. de Thou a été embaumé par le soin de madame sa sœur et mis dans un cercueil de plomb, pour être transporté en sa sépulture.

Telle fut la fin de ces deux personnes, qui, certes, devoient laisser à la postérité une autre mémoire que celle de leur mort. Je laisse à chacun d’en faire tel jugement qu’il lui plaira, et me contente de dire que ce nous est une grande leçon de l’inconstance des choses de ce monde et de la fragilité de notre nature.


Les dernières volontés de ces deux nobles jeunes gens nous sont demeurées par des lettres qu’ils écrivirent après la prononciation de leur arrêt. Celle de M. de Cinq-Mars à la maréchale d’Effiat, sa mère, peut paraître froide à quelques per-