Page:Allais - En ribouldinguant.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que je n’en avais trouvé pour venir.

Au reste, un peu énervé et ne sachant que faire de ma vesprée, je n’étais pas fâché de marcher un peu.

Je dégringolai à pied le boulevard Voltaire, le joyeux et bien parisien boulevard Voltaire.

Arrivé place de la République, j’aperçus un de ces grands omnibus qui vous mènent de certains points déterminés à la gare Saint-Lazare, ou de la gare Saint-Lazare à ces mêmes points déterminés.

Jamais je ne m’étais servi de ce mode de locomotion.

Il y avait donc là une occasion unique de débuter dans la carrière, puisque je devais dîner le soir à Maisons-Laffitte.

Je m’installai sur l’impériale.

Mais voilà-t-il pas… Tais-toi, ma rancune.

Voilà-t-il pas que, boulevard des Italiens, j’aperçus des gens que j’avais intérêt à rencontrer.

J’émis la peu farouche prétention de descendre.

— Pardon, fit le conducteur, vous n’avez pas le droit de descendre avant la gare Saint-Lazare.

— Je n’ai pas le droit de descendre ? Je n’ai pas le droit de descendre où je veux ?

— Non, monsieur.

— Eh bien ! nous allons voir ça !

J’allais employer la violence quand je fus séduit par l’étrangeté de la situation.

Un citoyen français, libre, innocent, ayant payé sa place, n’aurait pas le droit de descendre d’une voiture publique, à tel moment qu’il lui plairait !

— Non, monsieur.

Tous les voyageurs me donnaient tort et semblaient prendre en pitié ma déplorable ignorance.

Un vieux monsieur, officier de la Légion d’honneur, me demanda :

— Vous êtes étranger, sans doute ?

— Mon Dieu, monsieur, je suis étranger sans l’être, étant né dans le Calvados de parents français.

Le vieux monsieur mit une infinie bienveillance à m’expliquer le monopole de la Compagnie des Omnibus et une foule de patati et de patata, le tout dans une langue et avec des idées d’esclave qui accepte le monopole du même dos que les nègres de la Jamaïque acceptent les coups de matraque.