Page:Allais - En ribouldinguant.djvu/98

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de la mer ! on ne choisit pas toujours son laboratoire… Ce qui se passa, vous le devinez, n’est-ce pas ?

— Nous le devinons ; mais expliquez-le tout de même, pour ceux de nos lecteurs qui ne connaissent M. Berthelot que de nom.

— Vous avez raison !… Chaque fois qu’on met en contact du fer, de l’eau et un acide, il se dégage de l’hydrogène… Je n’eus qu’à clore hermétiquement mes orifices naturels, et en particulier ma bouche ; au bout de quelques secondes, gonflé du précieux gaz, je regagnais la surface des flots. Mais voilà !… Comme dans la complainte de la famille Feynarou, j’avais mal calculé la poussée des gaz. Ne me contentant pas de flotter, je m’élevai dans les airs, balancé par une assez forte brise Est qui me poussa en amont de la rivière. Ce sport, nouveau pour moi, d’abord me ravit, puis bientôt me monotona. Au petit jour, j’entr’ouvris légèrement un coin des lèvres, comme un monsieur qui sourit. Un peu d’hydrogène s’évada ; me rapprochant peu à peu de mon poids normal, bientôt, je mis pied à terre, en un joli petit pays qui s’appelle Tadousac et qui est situé à l’embouchure du Saguenay. Connaissez-vous Tadousac ?

— Si je connais Tadousac ! Et la jolie petite vieille église ! (la première que les Français construisirent au Canada). Et les jeunes filles de Tadousac qui vendent des photographies dans la vieille petite église au profit de la construction d’une nouvelle basilique !

(Et même, si ces lignes viennent à tomber sous les yeux des jeunes filles de Tadousac, qu’elles sachent bien que MM. P. F., E. D., B. de C., A. A. ont gardé d’elles un souvenir imprescriptible.)

Sitôt fermée ma parenthèse, le gentleman de Winnipeg termina son récit avec une aisance presque injurieuse pour ce pauvre Cap :

— Dès que j’eus mis pied à terre, j’exhalai le petit restant d’hydrogène qui me restait dans le coffre, et je gagnai la saumonnerie de Tadousac en chantant à pleine voix cette vieille romance française que j’aime tant :


Laissez les roses aux rosiers,
Laissez les éléphants au lord-maire.