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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/117

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mémoires d’un communard

constate et de la haine qui règne ici contre tous ceux qui paraissent être bien avec le commandant Rouget.

Je visitai la tranchée ; elle était dans un état déplorable. Je le fis observer au sergent Lefebvre, je lui dis mes appréhensions et m’efforçai de le mettre en garde contre le péril, que je considérais comme imminent…

Ses hommes et lui souriaient de mes alarmes : ils ne se doutaient guère qu’à peine trois heures les séparaient de la mort, d’un égorgement à peu près général.

L’armée versaillaise, grâce à ses espions, connaissait admirablement l’esprit d’insouciance des fédérés parisiens, et elle sut en profiter pour leur dresser de nombreux guet-apens. N’étais-je pas enclin moi-même à céder à ce penchant à l’aveugle confiance, qui valut à la Commune tant de sanglantes surprises ?

Pendant que duraient mes inutiles objurgations, nous vîmes, sur notre gauche, surgir une compagnie du 101e bataillon. Cette compagnie s’avança sur la route et, se dispersant en tirailleurs, les fédérés ouvrirent le feu dans la direction de Bagneux. Les Versaillais, placés sur les hauteurs qui dominent la route, répondirent presque aussitôt, et, sur toute la ligne des tranchées, la fusillade crépita.

Que signifiait cette attaque ? Quelle était la raison de cette initiative ? Qui l’avait ordonnée ? Pourquoi nous surprit-elle ?

Ah ! pauvre Commune, jamais l’on ne saura le nombre des misérables attachés à ta perte !

Me tenant près de Lefebvre, je faisais le coup de feu, quand quelqu’un me toucha l’épaule. Je fis un mouvement de côté et vis l’officier Pailleux, qui, un peu confus, me dit qu’il se trouvait avec le commandant et qu’il était accouru dès qu’il avait entendu la fusillade. Il put juger à ma mine que j’étais loin d’être satisfait des officiers du 118e.

La compagnie du 101e revint lentement vers la voie du chemin de fer, où elle redescendit, et peu à peu, le feu cessa des deux côtés. Il n’en fut pas de même de mes inquiétudes. Quant à l’officier Pailleux, il était reparti vers la Grange-Ory, pour aviser, sans doute, le commandant de ma présence, à laquelle ces messieurs étaient loin de s’attendre.