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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES

ou Ogla et Kouton[1]. Comme il n’existe pas de nom sanscrit pour cette espèce, ni pour les suivantes, je doute beaucoup de l’ancienneté de leur culture dans les montagnes de l’Asie centrale. Il est certain que les Grecs et les Romains ne connaissaient pas les Fagopyrum. Ce nom grec a été fait par les botanistes modernes, à cause de la ressemblance de forme de la graine avec le fruit du Hêtre, de la même façon qu’on dit en allemand Buchweitzen[2] et en italien Faggina.

Les langues européennes d’origine aryenne n’ont aucun nom de cette plante indiquant une racine commune. Ainsi les Aryens occidentaux ne connaissaient pas plus l’espèce que les orientaux de langue sanscrite, nouvel indice qu’elle n’existait pas autrefois dans l’Asie centrale. Aujourd’hui encore, elle n’est probablement pas connue dans le nord de la Perse et en Turquie, puisque les flores ne la mentionnent pas[3]. Bosc a mis dans le Dictionnaire d’agriculture qu’Olivier l’avait vue sauvage en Perse, mais je ne puis en trouver la preuve dans la relation imprimée de ce naturaliste.

L’espèce est arrivée en Europe, au moyen âge, par la Tartarie et la Russie. La première mention de sa culture en Allemagne, se trouve dans un registre du Mecklembourg, en 1436[4]. Au XVIe siècle, elle s’est répandue vers le centre de l’Europe, et dans les terrains pauvres, comme ceux de la Bretagne, elle a pris une place importante. Reynier, ordinairement très exact, s’était figuré que le nom Sarrasin venait du celte[5] ; mais M. Le Gall m’a écrit naguère que les noms bretons signifient simplement blé de couleur noire (Ed-du) ou froment noir (Gwinis-du), Il n’y a pas de nom original dans les langues celtiques, ce qui nous parait naturel aujourd’hui que nous connaissons l’origine de l’espèce[6].

Quand la plante s’est introduite en Belgique, en France, et qu’on l’a connue même en Italie, c’est-à-dire au XVIe siècle, le nom de Blé sarrasin ou Sarrasin a été communément adopté. Les noms vulgaires sont quelquefois si ridicules, si légèrement donnés, qu’on ne peut pas savoir, dans le cas actuel, si le nom vient de la couleur de la graine, qui était celle attribuée aux Sarrasins, ou de l’introduction, qu’on supposait peut-être venir des Arabes ou des Maures. On ignorait alors que l’espèce n’est pas du tout connue dans les pays au sud de la mer Méditerranée, ni même en Syrie et en Perse. Il est possible qu’on ait adopté l’idée d’une origine méridionale, à cause du nom Sarrasin,

  1. Madden, Trans. of Edinb. bot. Soc., 5, p. 118.
  2. Le nom anglais Buckwheat et le nom français de quelques localités, Buscail, viennent de l’allemand.
  3. Boissier, Fl. orientalis ; Buhse et Boissier, Pflanzen Transcaucasien.
  4. Pritzel, Sitzungs bericht Naturforsch. freunde zu Berlin, 15 mai 1866.
  5. Reynier, Économie des Celtes, p. 425.
  6. J’ai discuté plus en détail les noms vulgaires dans la Géographie botanique raisonnée, p. 953.