Page:Amable Floquet - Anecdotes normandes, deuxieme edition, Cagniard, 1883.djvu/216

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l’histoire, cette main, hélas ! un jour, s’était engourdie, elle était morte, pour ne jamais renaître. Avec quelle compassion douloureuse on avait vu, pendant plusieurs années, Jouvenet, tourmenté sans cesse par de grandes conceptions, par de gracieuses images qui s’offraient en foule à son esprit, mais qu’il ne pouvait reproduire, demander en pleurant à cette main, naguère si puissante, des merveilles qu’elle devait lui refuser à jamais ! Un jour, enfin, qu’avec cette main frappée d’une incurable inertie, il venait de gâter, en voulant la retoucher, une figure peinte par Restout son neveu, éperdu, hors de lui, le voilà qui saisit le pinceau de sa main gauche. Un malheureux naufragé que l’Océan va engloutir, ne se prend-il pas, dans son désespoir, à une faible branche, à un brin de paille qui va s’abîmer avec lui ? Mais, ô prodige ! aux yeux des spectateurs stupéfaits, aux yeux du célèbre Sébastien Ricci, qui le voyait et ne pouvait croire, aux yeux de Jouvenet, plus étonné lui-même que tous les autres, venait de naître un nouveau chef-d’oeuvre, une tête plus suave, plus belle, peut-être, qu’aucune de celles qu’avait naguère animées sa main droite ; puis, bientôt, de nombreux tableaux, toujours de sa main gauche, mais que sa main droite eût enviés[1], étaient

  1. La Mort de saint François est le premier tableau que Jouvenet ait peint de la main gauche. M. Garneray signale ce