Page:Amable Floquet - Anecdotes normandes, deuxieme edition, Cagniard, 1883.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

si mal les tourments d’une intelligence qui s’ignore et s’interroge, d’un génie qui se cherche lui-même ; qui, rempli d’une immense mais vague confiance en lui, et infailliblement sûr de se manifester quelque jour, ne sait toutefois encore, et se demande avec anxiété et dans les transes, sous quelle forme le monde voudra bien plus tard le reconnaître et l’accueillir !

Pour Gervais Delarue, on le devine assez, il avait tressailli d’aise de voir ses premiers vers si bien reçus, et son âme s’ouvrait aux rêves les plus enivrants. Avant lui, naguère, dans la même ville, dans cette même salle des Palinods, Bertaut, Sarrazin, Segrais, Malherbe, n’avaient-ils pas commencé ainsi ? Il les voyait au terme de la carrière, qui semblaient lui sourire, lui faire signe de venir les rejoindre. Horace, aussi, et Pindare, ses auteurs favoris, lui revenaient en mémoire, avec leurs merveilleux dithyrambes qui parlent si splendidement des beaux vers où l’on voit le poète couronné touchant les cieux de sa tête. « Et moi aussi, je suis poète, » se disait enivré le jeune lauréat du jour ; et, dans la rue de Geôle, sous un beau ciel où scintillaient les étoiles, il se surprit à baisser machinalement la tête comme de peur de se faire mal.

Encore un peu, c’en était fait de ce jeune homme, et notre Normandie, si peu explorée, si mal connue encore alors, au lieu d’un historien qu’elle avait pu