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UN DÎNER CHEZ MON PÈRE.

des bras en l’air. Il ne pouvait pas lutter, mais il ne s’avoua pas vaincu.

Chacun sait ce que sont les discussions et comment elles finissent : on parla une heure, on cria beaucoup, et l’on se quitta, M. Thiers toujours convaincu que les vierges étaient le plus beau fleuron de la couronne de Raphaël ; M. Ingres que le critique d’art ne savait pas seulement de quoi il était question.

Je profitai le lendemain d’une commission dont m’avait chargé ma cousine madame Mazois, auprès de M. Ingres, pour juger par moi-même des suites de ce malencontreux dîner. Dans quel état le retrouvai-je ! Évidemment il n’avait pas dormi de la nuit, et je vis qu’il était encore tout plein de son sujet, car il m’aborda en me disant :

« Eh bien ! mon cher ami, vous l’avez entendu hier… Voilà les gens qui nous jugent, qui nous insultent… Sans avoir rien appris, rien vu, impudents et ignorants… S’il plaît un jour à un de ces messieurs de ramasser de la boue dans la rue et de nous la jeter à la figure… que nous reste-t-il à faire, à nous qui avons travaillé trente ans, étudié, comparé, qui arrivons devant le public avec une œuvre (il me montrait un portrait qu’il était en train de faire) qui, si elle n’est pas parfaite, mon Dieu ! je le sais bien, est au moins honnête, consciencieuse, faite avec le respect