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L’ATELIER DES ÉLÈVES.

étonnerais beaucoup, si je leur disais qu’à l’époque dont je parle, c’est-à-dire quand le métier de modèle était un vrai métier, et non pas un accessoire, comme à présent, j’ai rencontré et j’ai eu pour modèles des jeunes filles d’une honnêteté relative fort étrange, et souvent inattaquable.

Je ne vais pas m’ériger en champion de cette classe de femmes, qui n’est pas indigne cependant d’un certain intérêt, et je n’essaierai pas de les réhabiliter ; mais je veux faire comprendre seulement la possibilité d’une certaine vertu de leur part.

En général, ces jeunes filles commençaient le métier de modèle à un âge où le sentiment de la pudeur n’existe pas encore, et elles en prenaient l’habitude sans s’en apercevoir. Quant à celles qui débutaient plus tard, souvent poussées par la misère, presque toutes m’ont avoué que leur première émotion durait bien peu devant l’attitude sérieuse du peintre. Elles sentaient tout de suite qu’elles n’étaient pour lui qu’une chose dont il admirait la beauté, de la même façon qu’il eût admiré une œuvre d’art.

En effet, pour nous, la vue d’une jeune fille nue, sur la table de modèles, en plein jour, est tellement dépourvue de toute impression sensuelle, que le modèle comprend du premier