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L’ATELIER DU MAÎTRE.

mener la nature à un moule connu, laissant de côté toute espèce d’individualité.

La discussion était malheureusement impossible avec M. Ingres. Cet homme tout d’instinct et d’inspiration, de passion surtout, avec une parole imagée, et souvent éloquente, manquait absolument de logique ; pour peu qu’on lui tînt tête, comme cela lui est arrivé quelquefois devant moi, il s’arrêtait tout à coup comme un homme qui ne comprend plus. Il pouvait prêcher, il était incapable de discuter.

Ce qu’il aurait dû dire, et ce qui était la vérité, c’est qu’élevé au milieu d’artistes qui, par réaction, en haine de l’école du dix-huitième siècle, faisaient peu de cas de la nature, et ramenaient tout au type de l’Apollon et de la Vénus de Médicis, il avait eu le rare mérite de trouver que la nature était assez belle, assez variée, assez infinie, pour avoir toujours à y puiser ; qu’on pouvait apprendre à lire dans ce livre merveilleux, mais qu’on n’y lisait bien et à sa façon que lorsqu’on avait du génie.

La haine de cette beauté de convention, apprise par tout le monde et presque au même degré, était poussée chez M. Ingres à un tel point, qu’il avait érigé en principe absolu la règle de copier, copier servilement ce qu’on avait sous les yeux, et le grand homme ne se doutait pas que