Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/44

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combrée. Dans la cour, elle voit une jeune femme occupée à graver un chiffre sur l’écorce de l’arbre, et reconnaît Cécile de Rochemore.

— Vous ici, Cécile ?

— Vous ici, Fanny ? faites mettre votre lit près du mien. Nous aurons bien des choses à nous dire.

— Bien des choses… Et M. de Rochemore, Cécile ?

— Mon mari ? Ma foi, ma chérie, je l’avais un peu oublié. C’était injuste. Tu sais que, général à vingt-cinq ans, il couvrit très bien la retraite de Mons et reçut les félicitations de l’Assemblée législative. Mais, depuis, nous avons été exclus, comme nobles, des emplois militaires ; nous sommes devenus suspects. Il est très probable qu’Alexandre est en prison quelque part.

— Et que faisais-tu là, Cécile ?

— Chut !… Quelle heure est-il ? S’il est cinq heures, l’ami dont j’unis sur cette écorce le nom au mien n’est plus de ce monde, car il a passé à midi au tribunal révolutionnaire. Il se nommait Armand et était volontaire à l’armée du Nord. Je l’ai connu dans cette prison. Nous avons passé ensemble de douces heures au pied de cet arbre. C’était un jeune homme de mérite. J’ai pleuré hier en lui disant adieu. Mais tandis que nous nous pressions les mains en soupirant, nous vîmes s’avancer à pas de loup un vieux gentilhomme enveloppé d’une robe de chambre à ramages et coiffé d’un bonnet de nuit, surmonté d’un énorme nœud de satin orange. Il tenait à la main un flambeau qu’il approcha de mon visage, pour voir si j’étais celle qu’il cherchait, car il avait un rendez-vous galant. Nous vîmes