Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/45

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alors qu’il s’était mis du rouge au visage, et nous partîmes d’un terrible éclat de rire, qui dura jusqu’au départ du malheureux Armand. C’est ainsi que nous nous sommes quittés.

Après ce beau récit, elle saisit Fanny par la taille, l’entraîna dans la chambre où elle avait son lit et veilla à ce que celui de Mme d’Avenay fût tout à côté. Elles convinrent de laver ensemble, dès le lendemain matin, le carreau de cette chambre. C’est un soin que Cécile prenait très souvent : elle ne pouvait souffrir la poussière.

Le repas du soir, servi maigrement par un gargotier patriote, se prenait en commun. Chaque prisonnier rapportait son assiette et son couvert de bois (il était interdit d’en avoir en métal) et recevait sa portion de porc aux choux. Fanny vit à cette table grossière des femmes charmantes dont la gaieté légère l’étonna. Comme Cécile, elles étaient coiffées avec soin et portaient de fraîches toilettes. Près de mourir, elles gardaient l’envie de plaire. Leur conversation était galante comme leur personne, et Fanny fut bientôt instruite des intrigues qui se nouaient et se dénouaient sous les verrous. La folie d’aimer était dans l’air de la prison. La mort aiguillonnait l’amour.

Et Fanny fut prise d’un indicible trouble ; elle se sentit un grand désir de presser une main dans la sienne. Des larmes ardentes comme la volupté roulèrent sur ses joues. À la lueur du lampion fumeux qui éclairait le repas, elle observait ses compagnes dont les yeux brillaient de fièvre et elle songeait :

— Nous allons mourir ensemble. D’où vient que je suis triste et que mon âme