Page:Anatole France - Autels de la peur.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il y avait aussi dans la prison un Allemand qui jouait de la viole d’amour et un jeune patriote qui composait des chansons. Ils donnaient des concerts, le soir ; quand le plus grand nombre des prisonniers s’était retiré, la musique se faisait entendre encore. La réunion devenait intime et mystérieuse ; on se cherchait ; on se parlait tout bas ; l’ombre enveloppait les couples rapprochés et le bruit des baisers se mêlait au son de la viole. Et ceux qui faisaient ainsi l’amour avaient leur arrêt de mort dans leur poche.

Cependant Fanny élevait son âme et regardait au delà de ce monde. Rentrée dans sa chambre, elle écrivait à son fils des lettres d’une adorable gaieté et d’une sagesse sublime.

Le cinquième jour de sa détention, comme elle faisait dans le préau sa promenade accoutumée, elle reconnut, tristement assis sur un banc, le vieux Nicolas Franchot, tout courbé par l’âge et la misère. Marcel l’avait longtemps caché sous un toit ; mais le pauvre vieillard s’était fait prendre en essayant de fuir. Il venait d’arriver à Port-Libre, et la poussière du chemin souillait encore son visage. Fanny lui prit en souriant la main.

— Mon vieil ami, lui dit-elle ; je ne puis me réjouir de vous voir ici ; mais je serai contente s’il m’est possible de vous aider en quelque chose.

Franchot, les mains sur les genoux, secoue la tête et pleure. Les larmes délayent la poussière dont ses joues sont couvertes, et le visage du pauvre philosophe est tout barbouillé. Fanny court à sa chambre et revient avec une éponge et de l’eau, dont elle lave son vieil ami