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LES JUGES INTÈGRES

SECOND JUGE. — La loi est tout entière de l’homme et elle naquit imbécile et cruelle dans les faibles commencements de la raison humaine. Mais fût-elle d’essence divine, il en faudrait suivre l’esprit et non la lettre, parce que la lettre est morte et que l’esprit est vivant.

Ayant ainsi parlé, les deux juges intègres mirent pied à terre et se rendirent avec leur escorte au Tribunal où ils étaient attendus pour rendre à chacun son dû. Leurs chevaux, attachés à un pieu, sous un grand orme, conversèrent ensemble. Le cheval du premier juge parla d’abord.

— Quand la terre, dit-il, sera aux chevaux (et elle leur appartiendra sans faute un jour, car le cheval est évidemment la fin dernière et le but final de la création), quand la terre sera aux chevaux et quand nous serons libres d’agir à nos guises, nous nous donnerons le plaisir d’emprisonner,