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LE CHRIST DE L’OCÉAN

roulées et qui vraiment formaient une croix.

C’étaient les épaves d’un ancien naufrage. On distinguait encore sur une de ces planches deux lettres peintes en noir, un J. et un L., et l’on ne pouvait douter que ce ne fût un débris de la barque de Jean Lenoël, qui, cinq ans auparavant, avait péri en mer avec son fils Désiré.

À cette vue, le bedeau et les fabriciens se mirent à rire de l’innocent, qui prenait les ais rompus d’un bateau pour la croix de Jésus-Christ. Mais M. le curé Truphème arrêta leurs moqueries. Il avait beaucoup médité et beaucoup prié depuis la venue parmi les pêcheurs du Christ de l’Océan, et le mystère de la charité infinie commençait à lui apparaître. Il s’agenouilla sur le sable, récita l’oraison pour les fidèles défunts, puis il ordonna aux bedeaux et aux fabriciens de porter cette épave sur leurs épaules et de la déposer dans l’église. Quand ce fut fait, il souleva le Christ de dessus l’autel, le posa