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JEAN MARTEAU

les visions de ce rêve. C’est par là qu’il est intéressant. Il m’a fait comprendre les illusions des mystiques. Si l’esprit scientifique m’avait fait défaut, je l’aurais certainement pris pour une apocalypse et une révélation, et j’y aurais cherché les principes de ma conduite et les règles de ma vie. Je dois vous dire que je fis ce rêve dans des circonstances particulières. C’était au printemps de 1895 ; j’avais vingt ans. Nouveau venu à Paris, je traversais des temps difficiles. Cette nuit-là je m’étais étendu dans un taillis des bois de Versailles, sans avoir mangé depuis vingt-quatre heures. Je ne souffrais pas. J’étais dans un état de douceur et d’allégeance, traversé par moments d’une impression d’inquiétude. Et il me semblait que je ne dormais ni ne veillais. Une petite fille, une toute petite fille, en capeline bleue et en tablier blanc, marchait sur des béquilles dans une plaine, au crépuscule. Ses béquilles, à chaque pas qu’elle faisait, s’allongeaient