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MONSIEUR THOMAS

à l’abri de sa curiosité ses principes religieux et ses principes sociaux.

Il était juge au Tribunal de première instance dans la petite ville de X***, où j’habitais alors. Ses dehors inspiraient l’estime et même une certaine sympathie. C’était un long corps sec, la peau collée aux os, la face jaune. Sa parfaite simplicité lui donnait assez grand air. Il se faisait appeler Monsieur Thomas, non qu’il eût sa noblesse en mépris, mais parce qu’il se jugeait trop pauvre pour la soutenir. Je l’ai assez pratiqué pour reconnaître que ses apparences ne trompaient pas et qu’avec une intelligence étroite et un tempérament faible, il avait une âme haute. Je lui découvris de grandes qualités morales. Mais ayant eu occasion d’observer comment il remplissait ses fonctions de magistrat instructeur et de juge, je m’aperçus que sa probité même et l’idée qu’il se faisait de son devoir le rendaient inhumain, et parfois lui ôtaient toute clair-