Page:Anatole France - Jocaste et Le Chat maigre.djvu/204

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périeux, la bouche avide et la magnifique poitrine de bronze, s’échappant d’un corsage de mousseline blanche, avaient imprimé leur image dans la mémoire de l’enfant. Que de fois il l’avait vue, empreinte d’un parfum violent, la tête renversée en arrière et les yeux noyés, exaspérer par quelque réponse brève et dédaigneuse M. Alidor, qui un jour se jeta sur elle en grinçant des dents et abattit sa canne sur les plus belles épaules des Antilles.

Mais Remi avait vu bien d’autres choses. Il avait vu le bombardement et l’incendie de Port-au-Prince, les pillages, les massacres, les exécutions et encore des massacres et des exécutions. Il avait vu sa marraine Olivette gisant assommée au milieu de ses tonneaux défoncés, entre ses assassins ivres morts de wisky.

C’est vers cette époque qu’ayant fait une longue traversée, il débarqua un soir dans une ville magnifiquement éclairée. La France lui plut tout d’abord. Il fut mis, à Nantes, dans une pension de la rue du Château ; là, il traîna de banc en banc, en grelottant sans cesse, une vie monotone et ennuyée. Pendant les longues études, il suçait des dragées et dessinait des caricatures. Chaque jeudi