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Pourquoi donner à l’Église ce qu’on ne lui doit pas, et lui refuser ce qu’on lui doit ?

Le plus honnête et le plus sage sera d’établir pour elle un régime de liberté. Nous dirions qu’il faut lui donner la liberté, si ce n’était pas là une expression purement métaphysique, qui ne représente rien de sensible ni de réel. Il n’y a point dans un État une liberté. Il y a des libertés qui se limitent les unes les autres. Nous dirons qu’il faut accorder à l’Église toutes les libertés possibles.

Depuis qu’on s’attend en France à la dénonciation du Concordat, beaucoup de personnes laïques et libérales, parmi lesquelles se remarque M. René Goblet, font de cette formule « l’Église libre dans l’État libre », comme la devise de la séparation. M. René Goblet est un ami généreux de la liberté. Il la retrancherait à son parti plutôt que d’en priver ses adversaires. « L’Église libre dans l’État libre ». La phrase a plus de quarante ans ; elle est de Montalembert, qui l’expliquait par cette autre phrase : « La liberté de l’Église fondée sur les libertés publiques »[1]. M. de Cavour, après l’invasion des États pontificaux, se l’appropria. Dans sa bouche, elle prit un sens nouveau et devint italienne, je veux dire fine. Elle signifiait : « Le roi dépouille le Pape de son patrimoine et lui baise les pieds ». C’est toute la politique de la maison de Savoie, qui se fait

  1. Voir : L’Église libre dans l’État libre, discours prononcé au Congrès catholique de Malines par le Comte de Montalembert, 1863, pp. 177 et suiv.