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et paléographes de mon pays et des pays étrangers les difficultés que j’éprouvais à composer l’histoire des Pingouins. J’essuyai leurs mépris. Ils me regardèrent avec un sourire de pitié qui semblait dire : « Est-ce que nous écrivons l’histoire, nous ? Est-ce que nous essayons d’extraire d’un texte, d’un document, la moindre parcelle de vie ou de vérité ? Nous publions les textes purement et simplement. Nous nous en tenons à la lettre. La lettre est seule appréciable et définie. L’esprit ne l’est pas ; les idées sont des fantaisies. Il faut être bien vain pour écrire l’histoire : il faut avoir de l’imagination. »

Tout cela était dans le regard et le sourire de nos maîtres en paléographie, et leur entretien me décourageait profondément. Un jour qu’après une conversation avec un sigillographe éminent, j’étais plus abattu encore que d’habitude, je fis soudain cette réflexion, je pensai :

— Pourtant, il est des historiens ; la race n’en est point entièrement disparue. On en conserve cinq ou six à l’Académie des sciences morales. Ils ne publient pas de textes ; ils écrivent l’histoire. Ils ne me diront pas, ceux-là, qu’il faut être vain pour se livrer à ce genre de travail.

Cette idée releva mon courage.

Le lendemain (comme on dit, ou l’en demain,