Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/114

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moins pour Kraken le pouvoir d’une vierge que la force des hommes armés, elle ne se sentait pas rassurée par le mandement du bienheureux Maël ; un instinct vague et sûr, qui dirigeait son esprit, l’avertissait que désormais Kraken ne pouvait plus être dragon avec sécurité.

Elle demanda au bouvier :

— Mon cœur, que penses-tu du dragon ?

Le rustre secoua la tête :

— Il est certain que, dans les temps anciens, des dragons ravageaient la terre ; et l’on en voyait de la grosseur d’une montagne. Mais il n’en vient plus, et je crois que ce qu’on prend ici pour un monstre recouvert d’écailles, ce sont des pirates ou des marchands qui ont emporté dans leur navire la belle Orberose et les plus beaux parmi les enfants d’Alca. Et si l’un de ces brigands tente de me voler mes bœufs, je saurai, par force ou par ruse, l’empêcher de me nuire.

Cette parole du bouvier accrut les appréhensions d’Orberose et ranima sa sollicitude pour un époux qu’elle aimait.