Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/117

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père, que le dragon qui désole notre île a dévoré le petit Elo et quatre ou cinq autres jeunes garçons. Frère Samuel n’est pas assez présomptueux pour se croire à dix-neuf ans plus innocent qu’eux à douze et à quatorze.

» Hélas ! ajouta le moine en gémissant, qui peut se vanter d’être chaste en ce monde où tout nous donne l’exemple et le modèle de l’amour, où tout dans la nature, bêtes et plantes, nous montre et nous conseille les voluptueux embrassements ? Les animaux sont ardents à s’unir selon leurs guises ; mais il s’en faut que les divers hymens des quadrupèdes, des oiseaux, des poissons, et des reptiles égalent en vénusté les noces des arbres. Tout ce que les païens, dans leurs fables, ont imaginé d’impudicités monstrueuses est dépassé par la plus simple fleur des champs, et si vous saviez les fornications des lis et des roses, vous écarteriez des autels ces calices d’impureté, ces vases de scandale.

— Ne parlez pas ainsi, frère Régimental, répondit le vieillard Maël. Soumis à la loi naturelle, les animaux et les plantes sont toujours innocents. Ils n’ont pas d’âme à sauver ; tandis que l’homme…

— Vous avez raison, répliqua le frère Régimental ; c’est une autre paire de manches. Mais n’envoyez pas le jeune Samuel au dragon : le dragon le mangerait. Depuis déjà cinq ans