Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/130

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immense cri de terreur et de pitié s’élève du milieu des Pingouins. Mais la vierge, déliant sa ceinture de lin, la passe au cou du dragon, qu’elle mène en laisse, comme un chien fidèle, aux acclamations des spectateurs.

Elle a déjà parcouru un long espace de la lande, lorsque apparaît Kraken armé d’une épée étincelante. Le peuple, qui le croyait mort, jette des cris de surprise et de joie. Le héros s’élance sur la bête, la retourne, et de son épée, lui ouvre le ventre dont sortent, en chemise, les cheveux bouclés et les mains jointes, le petit Elo et les cinq autres enfants que le monstre avait dévorés.

Aussitôt, ils se jettent aux genoux de la vierge Orberose qui les prend dans ses bras et leur dit à l’oreille :

— Vous irez par les villages et vous direz : « Nous sommes les pauvres petits enfants que le dragon a dévorés et nous sommes sortis en chemise de son ventre. » Les habitants vous donneront en abondance tout ce que vous pourrez souhaiter. Mais si vous parlez autrement, vous n’aurez que des nasardes et des fessées. Allez !

Plusieurs Pingouins, voyant le dragon éventré, se précipitaient pour le mettre en lambeaux, les uns par un sentiment de fureur et de vengeance, les autres afin de s’emparer de la pierre magique, nommée dracontite, engendrée dans sa tête ; les