Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/147

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Les guerres séculaires des Pingouins et des Marsouins remplissent la fin de cette période. Il est extrêmement difficile de connaître la vérité sur ces guerres, non parce que les récits manquent, mais parce qu’il y en a plusieurs. Les chroniqueurs marsouins contredisent sur tous les points les chroniqueurs pingouins. Et, de plus, les Pingouins se contredisent entre eux, aussi bien que les Marsouins. J’ai trouvé deux chroniqueurs qui s’accordent ; mais l’un a copié l’autre. Un fait seul est certain, c’est que les massacres, les viols, les incendies et les pillages se succédèrent sans interruption.

Sous le malheureux prince Bosco IX, le royaume fut à deux doigts de sa ruine. À la nouvelle que la flotte marsouine, composée de six cents grandes nefs, était en vue d’Alca, l’évêque ordonna une procession solennelle. Le chapitre, les magistrats élus, les membres du parlement et les clercs de l’université vinrent prendre dans la cathédrale la châsse de sainte Orberose et la promenèrent tout autour de la ville, suivis du peuple entier qui chantait des hymnes. La sainte patronne de la Pingouinie ne fut point invoquée en vain ; cependant les Marsouins assiégèrent la ville en même temps par terre et par mer, la prirent d’assaut et, durant trois jours et trois nuits, y tuèrent, pillèrent, violèrent et incendièrent avec l’indifférence qu’engendre l’habitude.