Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Des œuvres composées sur ce thème la relation de Marbode est une des plus tardives, mais elle n’en est pas la moins singulière.

LA DESCENTE DE MARBODE AUX ENFERS

En la quatorze cent cinquante-troisième année depuis l’incarnation du fils de Dieu, peu de jours avant que les ennemis de la Croix n’entrassent dans la ville d’Hélène et du grand Constantin, il me fut donné à moi, frère Marbode, religieux indigne, de voir et d’ouïr ce que personne n’avait encore ouï ni vu. J’ai composé de ces choses une relation fidèle, afin que le souvenir n’en périsse point avec moi, car le temps de l’homme est court.

Le premier jour de mai de ladite année, à l’heure de vêpres, en l’abbaye de Corrigan, assis sur une pierre du cloître, près de la fontaine couronnée d’églantines, je lisais, à mon habitude, quelque chant du poète que j’aime entre tous, Virgile, qui a dit les travaux de la terre, les bergers et les chefs. Le soir suspendait les plis de sa pourpre aux arcs du cloître et je murmurais d’une voix émue les vers qui montrent comment Didon la Phénicienne traîne sous les myrtes des enfers sa blessure encore fraîche. À ce moment, frère Hilaire passa près de moi, suivi de frère Jacinthe, le portier.