Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/210

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— Dieu vous entende !

— Cornemuse, que pensez-vous du prince Crucho ?

— C’est un aimable jeune homme et, j’ose dire, le digne rejeton d’une tige auguste. Je le plains d’endurer, dans un âge si tendre, les douleurs de l’exil. Pour l’exilé le printemps n’a point de fleurs, l’automne n’a point de fruits. Le prince Crucho pense bien ; il respecte les prêtres ; il pratique notre religion ; il fait une grande consommation de mes petits produits.

— Cornemuse, dans beaucoup de foyers, riches ou pauvres, on souhaite son retour. Croyez-moi, il reviendra.

— Puissé-je ne pas mourir avant d’avoir jeté mon manteau devant ses pas ! soupira Cornemuse.

Le voyant dans ces sentiments, Agaric lui dépeignit l’état des esprits tel qu’il se le figurait lui-même. Il lui montra les nobles et les riches exaspérés contre le régime populaire ; l’armée refusant de boire de nouveaux outrages, les fonctionnaires prêts à trahir, le peuple mécontent, l’émeute déjà grondant, et les ennemis des moines, les suppôts du pouvoir, jetés dans les puits d’Alca. Il conclut que c’était le moment de frapper un grand coup.

— Nous pouvons, s’écria-t-il, sauver le peuple pingouin, nous pouvons le délivrer de ses tyrans, le délivrer de lui-même, restaurer la crête du