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Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/218

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avez été tiré de l’exil, rendu à vos peuples, rétabli sur le trône de vos ancêtres par la main de vos moines et couronné par leurs mains de la crête auguste du Dragon. Roi Crucho, puissiez-vous égaler en gloire votre aïeul Draco le Grand !

Le jeune prince ému se jeta sur son restaurateur pour l’embrasser ; mais il ne put l’atteindre qu’à travers deux épaisseurs de demoiselles, tant on était serré dans cette voiture historique.

— Mon vieux père, dit-il, je voudrais que la Pingouinie tout entière fût témoin de cette étreinte.

— Ce serait un spectacle réconfortant, dit Agaric.

Cependant l’auto, traversant en trombe les hameaux et les bourgs, écrasait sous ses pneus insatiables poules, oies, dindons, canards, pintades, chats, chiens, cochons, enfants, laboureurs et paysannes.

Et le pieux Agaric roulait en son esprit ses grands desseins. Sa voix, sortant de derrière la demoiselle, exprima cette pensée :

— Il faudra de l’argent, beaucoup d’argent.

— C’est votre affaire, répondit le prince.

Mais déjà la grille du parc s’ouvrait à l’auto formidable.

Le dîner fut somptueux. On but à la crête du Dragon. Chacun sait qu’un gobelet fermé est signe de souveraineté. Aussi le prince Crucho et la princesse Gudrune son épouse burent-ils dans