Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/26

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heureux Gal, abbé d’Yvern, trépassa de ce monde en l’autre, le jeune Maël lui succéda dans le gouvernement du monastère. Il y établit une école, une infirmerie, une maison des hôtes, une forge, des ateliers de toutes sortes et des chantiers pour la construction de navires, et il obligea les religieux à défricher les terres alentour. Il cultivait de ses mains le jardin de l’abbaye, travaillait les métaux, instruisait les novices, et sa vie s’écoulait doucement comme une rivière qui reflète le ciel et féconde les campagnes.

Au tomber du jour, ce serviteur de Dieu avait coutume de s’asseoir sur la falaise, à l’endroit qu’on appelle encore aujourd’hui la chaise de saint Maël. À ses pieds, les rochers, semblables à des dragons noirs, tout velus d’algues vertes et de goémons fauves, opposaient à l’écume des lames leurs poitrails monstrueux. Il regardait le soleil descendre dans l’océan comme une rouge hostie qui de son sang glorieux empourprait les nuages du ciel et la cime des vagues. Et le saint homme y voyait l’image du mystère de la Croix, par lequel le sang divin a revêtu la terre d’une pourpre royale. Au large, une ligne d’un bleu sombre marquait les rivages de l’île de Gad, où sainte Brigide, qui avait reçu le voile de saint Malo, gouvernait un monastère de femmes.

Or, Brigide, instruite des mérites du vénérable Maël, lui fit demander, comme un riche présent,