Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/300

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vait de charmes en nul endroit ni d’aucune manière. Elle gardait seulement de sa beauté passée la certitude de plaire et une hautaine assurance à réclamer les hommages. Pourtant, il faut le reconnaître, cette affaire Pyrot, féconde en prodiges, revêtait Maniflore d’une sorte de majesté civique et la transformait, dans les réunions populaires, en un symbole auguste de la justice et de la vérité.

Chez aucun antipyrot, chez aucun défenseur de Greatauk, chez aucun ami du sabre, Bidault-Coquille et Maniflore n’inspiraient la moindre pointe d’ironie et de gaieté. Les dieux, dans leur colère, avaient refusé à ces hommes le don précieux du sourire. Ils accusaient gravement la courtisane et l’astronome d’espionnage, de trahison, de complot contre la patrie. Bidault-Coquille et Maniflore grandissaient à vue d’œil sous l’injure, l’outrage et la calomnie.

La Pingouinie était, depuis de longs mois, partagée en deux camps, et, ce qui peut paraître étrange au premier abord, les socialistes n’avaient pas encore pris parti. Leurs groupements comprenaient presque tout ce que le pays comptait de travailleurs manuels, force éparse, confuse, rompue, brisée, mais formidable. L’affaire Pyrot jeta les principaux chefs de groupes dans un singulier embarras : ils n’avaient pas plus envie de se mettre du côté des financiers que du côté des