Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/348

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révérend père Douillard ; le vicomte Cléna aussi ; la foule était nombreuse ; on faisait la queue. Par un hasard heureux, le vicomte Cléna et mademoiselle Clarence se trouvèrent l’un contre l’autre, un peu serrés, peut-être. Éveline avait distingué ce jeune homme élégant, presque aussi connu que son père dans le monde des sports. Cléna l’avait remarquée, et comme elle lui paraissait jolie, il la salua, s’excusa, et feignit de croire qu’il avait déjà été présenté à ces dames, mais qu’il ne se rappelait plus où. Elles feignirent de le croire aussi.

Il se présenta la semaine suivante chez madame Clarence qu’il imaginait un peu entremetteuse, ce qui n’était pas pour lui déplaire et, en revoyant Éveline, il reconnut qu’il ne s’était pas trompé et qu’elle était extrêmement jolie.

Le vicomte Cléna avait le plus bel auto d’Europe. Trois mois durant, il y promena les dames Clarence, tous les jours, par les collines, les plaines, les bois et les vallées ; avec elles il parcourut les sites et visita les châteaux. Il dit à Éveline tout ce qu’on peut dire et fit de son mieux. Elle ne lui cacha pas qu’elle l’aimait, qu’elle l’aimerait toujours et n’aimerait que lui. Elle demeurait à son côté, palpitante et grave. À l’abandon d’un amour fatal elle faisait succéder, quand il le fallait, la défense invincible d’une vertu consciente du danger. Au bout de trois mois, après l’avoir fait