Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/42

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au regard sauvage et doux. Et Léviathan passa, lançant une colonne d’eau jusqu’aux nuées.

Cependant, sur un bloc de glace qui nageait de conserve avec l’auge de pierre, une ourse blanche était assise, tenant son petit entre ses bras, et Maël l’entendit qui murmurait doucement ce vers de Virgile : Incipe parve puer.

Et le vieillard, plein de tristesse et de trouble, pleura.

L’eau douce avait, en se gelant, fait éclater le baril qui la contenait. Et pour étancher sa soif, Maël suçait des glaçons. Et il mangeait son pain trempé d’eau salée. Sa barbe et ses cheveux se brisaient comme du verre. Sa robe recouverte d’une couche de glace lui coupait à chaque mouvement les articulations des membres. Les vagues monstrueuses se soulevaient et leurs mâchoires écumantes s’ouvraient toutes grandes sur le vieillard. Vingt fois des paquets de mer emplirent l’embarcation. Et le livre des saints Évangiles, que l’apôtre gardait précieusement sous une couverture de pourpre, marquée d’une croix d’or, l’océan l’engloutit.

Or, le trentième jour, la mer se calma. Et voici qu’avec une effroyable clameur du ciel et des eaux une montagne d’une blancheur éblouissante, haute de trois cents pieds, s’avance vers la cuve de pierre. Maël gouverne pour l’éviter ; la barre se brise dans ses mains. Pour ralentir sa