Page:Anatole France - La Révolte des anges.djvu/210

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» Je me réveillai dans les ténèbres plaintives. Et quand j’eus accoutumé mes yeux à l’ombre épaisse, j’aperçus autour de moi mes compagnons d’armes gisant par milliers sur le sol sulfureux, où passaient des lueurs livides. Mes yeux ne découvraient que solfatares, cratères fumants, palus empoisonnés. Des montagnes de glace et des mers de ténèbres fermaient l’horizon. Un ciel d’airain pesait sur nos fronts. Et l’horreur de ce lieu était telle que nous pleurâmes accroupis, les coudes sur les genoux et les poings dans les joues.

» Mais bientôt, ayant levé les yeux, je vis le Séraphin dressé devant moi comme une tour. Sur sa splendeur première la douleur jetait sa sombre et magnifique parure.

» — Compagnons, nous dit-il, il faut nous féliciter et nous réjouir, car nous voilà délivrés de la servitude céleste. Ici nous sommes libres, et mieux vaut la liberté dans les enfers que l’esclavage dans les cieux[1]. Nous ne sommes point vaincus, puisqu’il nous reste la volonté de vaincre. Par nous a chancelé le trône du

  1. Better to reign in Hell, than serve in Heav’n. Paradise Lost, book I, v. 254.