Page:Anatole France - La Révolte des anges.djvu/226

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verte, un Priape taillé dans un tronc de figuier, menaçant les voleurs de son membre formidable et les roseaux que le vent agitait sur sa tête, effrayaient les oiseaux, pillards. À la lune nouvelle, le pieux colon offrait à ses lares, couronnés de myrte et de romarin, une poignée de sel et d’orge.

» Je vis grandir ses enfants et les enfants de ses enfants, qui gardaient en leur cœur la piété première et n’oubliaient pas le sacrifice à Bacchus, à Diane, à Vénus, ni de verser du vin pur et des fleurs aux fontaines. Mais lentement, ils dégénéraient de la patience et de la simplicité antiques. Je les entendais gémir quand le torrent, gonflé par des pluies abondantes, les obligeait à construire une digue pour défendre le champ paternel : le dur vin de la Sabine fatiguait leur palais délicat. Ils allaient boire les vins grecs à la taverne voisine et oubliaient les heures en regardant, sous la treille, danser la joueuse de flûte habile à mouvoir, au son du crotale, ses flancs polis. Les colons se faisaient de doux loisirs au murmure du feuillage et des ruisseaux, mais on voyait, entre les peupliers, s’élever, au bord