Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/107

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formes, les fourneaux et les grimoires dont il avait rempli son château. Mais il était devenu par la mort de ses frères le plus riche gentilhomme de sa province, et pendant qu’il dissipait son bien en folies, ses bonnes terres travaillaient pour lui. Cadette Saint-Avit estime que, malgré ses dépenses, il doit encore être fort riche aujourd’hui.

Sur ces mots, mon père entra dans la rôtisserie. Il m’embrassa tendrement et me confia que la maison avait perdu la moitié de son agrément par suite de mon départ et de celui de M. Jérôme Coignard, qui était honnête et jovial. Il me fit compliment de mes habits et me donna une leçon de maintien, assurant que le négoce l’avait accoutumé aux manières affables, par l’obligation continuelle où il était tenu de saluer les chalands comme des gentilshommes, alors même qu’ils appartenaient à la vile canaille. Il me donna pour précepte d’arrondir le coude et de tenir les pieds en dehors, et me conseilla, au surplus, d’aller voir Léandre, à la foire Saint-Germain, afin de m’ajuster exactement sur lui.

Nous dînâmes ensemble de bon appétit et nous nous séparâmes en versant des torrents de larmes. Je les aimais bien tous deux, et ce