Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/122

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laissé couler, je me sens moins honnête homme. Tournebroche, maintenant que vous êtes vêtu comme un marquis, n’êtes-vous point chatouillé de l’envie d’assister à la toilette d’une fille d’Opéra et de pousser un rouleau de faux louis sur une table de pharaon ; en un mot, ne vous sentez-vous point homme de qualité ? Ne prenez pas ce que je vous dis en mauvaise part, et considérez qu’il suffit de donner un bonnet à poil à un couard pour qu’il aille aussitôt se faire casser la tête au service du Roi. Tournebroche, nos sentiments sont formés de mille choses qui nous échappent par leur petitesse, et la destinée de notre âme immortelle dépend parfois d’un souffle trop léger pour courber un brin d’herbe. Nous sommes le jouet des vents. Mais passez-moi, s’il vous plaît, les Rudiments de Vossius, dont je vois les tranches rouges bâiller là, sous votre bras gauche.

Ce jour-là, après le dîner de trois heures, M. d’Astarac nous mena, mon bon maître et moi, faire un tour de promenade dans le parc. Il nous conduisit du côté occidental, qui regardait Rueil et le Mont-Valérien. C’était le plus profond et le plus désolé. Le lierre et l’herbe, tondus par les lapins, couvraient les allées, que barraient çà et là de grands troncs