Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans chercher à la comprendre par le menu.

Puis, soulevant son gobelet, il but un grand coup de vin.

— Ce vin, dit-il, porte dans l’économie du corps humain une chaleur douce et salutaire. C’est une liqueur digne d’être chantée à Téos et au Temple, par les princes des poètes bachiques, Anacréon et Chaulieu. J’en veux frotter les lèvres de mon jeune disciple.

Il me mit le gobelet sous le menton et s’écria :

— Abeilles de l’Académie, venez, venez vous poser en harmonieux essaims sur la bouche, désormais sacrée aux Muses, de Jacobus Tournebroche.

— Oh ! monsieur l’abbé, dit ma mère, il est vrai que le vin attire les abeilles, surtout quand il est doux. Mais il ne faut pas souhaiter que ces méchantes mouches se posent sur les lèvres de mon Jacquot, car leur piqûre est cruelle. Un jour que je mordais dans une pêche, je fus piquée à la langue par une abeille et je souffris les tourments de l’enfer. Je ne fus soulagée que par un peu de terre, mêlée de salive, que frère Ange me mit dans la bouche, en récitant l’oraison de saint Côme.