Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/285

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-même, dans mon chagrin, à la pensée que Jahel, enfermée sous de triples verrous, ne pourrait le rejoindre.

J’entrai, pour écrire mes lettres, dans la chambre de mon bon maître où je dérangeai cinq ou six rats qui rongeaient sur la table de nuit son livre de Boèce. J’écrivis à M. d’Astarac et à ma mère, et je composai pour Jahel l’épître la plus touchante. Je la relus et la mouillai de mes larmes. Peut-être, me dis-je, l’infidèle y mêlera les siennes.

Puis, accablé de fatigue et de mélancolie, je me jetai sur le matelas de mon bon maître, et ne tardai pas à tomber dans un demi-sommeil, troublé par des rêves à la fois érotiques et sombres. J’en fus tiré par le muet Criton, qui entra dans ma chambre et me tendit sur un plat d’argent une papillote à l’iris, où je lus quelques mots tracés au crayon d’une main maladroite. On m’attendait dehors pour affaire pressante. Le billet était signé : Frère Ange, capucin indigne. Je courus à la porte verte, et je trouvai sur la route le petit frère assis au bord du fossé dans un abattement pitoyable. N’ayant pas la force de se lever à ma venue, il tendit vers moi le regard de ses grands yeux de chien, presque humains, et