Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/313

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donner. C’est la faim qui est l’axe de l’humanité ; au reste, comme il est inutile d’en disputer ici, je dirai, si l’on veut, que la vie des mortels a deux pôles, la faim et l’amour. Et c’est ici qu’il faut ouvrir l’oreille et l’âme ! Ces créatures hideuses, qui ne sont tendues qu’à s’entre-dévorer ou à s’entr’embrasser furieusement, vivent ensemble soumises à des lois qui leur interdisent précisément la satisfaction de cette double et fondamentale concupiscence. Ces animaux ingénus, devenus citoyens, s’imposent volontiers des privations de toutes sortes, respectent le bien d’autrui, ce qui est prodigieux, en égard à leur nature avide ; et ils observent la pudeur, qui est une hypocrisie énorme, mais commune, consistant à ne dire que rarement ce à quoi on pense sans cesse. Car enfin, de bonne foi, messieurs, quand nous voyons une femme, ce n’est pas à la beauté de son âme et aux agréments de son esprit que nous attachons notre pensée ; et dans notre entretien avec elle, nous avons en vue principalement ses formes naturelles. Et l’aimable créature le savait si bien, qu’habillée par la bonne faiseuse, elle a pris soin de ne voiler ses appas qu’en les exagérant par divers artifices. Et mademoiselle Jahel, qui n’est