Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/336

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Nous jouâmes donc à l’hombre. C’est un jeu qui veut de la gravité. J’y fis beaucoup de fautes et mon impatient partenaire commençait à se fâcher, quand le visage noble et riant de mon bon maître nous apparut à la clarté du feu. Dénouant son mouchoir, M. l’abbé Coignard en tira quatre ou cinq petits poissons qu’il ouvrit avec son couteau orné de l’image du feu roi, en empereur romain, sur une colonne triomphale, et qu’il vida aussi facilement que s’il n’avait jamais vécu que parmi les poissardes de la halle, tant il excellait dans ses moindres entreprises, comme dans les plus considérables. En arrangeant ce fretin sur la cendre :

— Je vous confierai, nous dit-il, que, suivant la rivière en aval, à la recherche d’une berge favorable à la pêche, j’ai aperçu la calèche apocalyptique qui effraye mademoiselle Jahel. Elle s’est arrêtée à quelque distance en arrière de notre berline. Vous l’avez dû voir passer ici, tandis que je pêchais dans la rivière, et l’âme de mademoiselle en dut être bien soulagée.

— Nous ne l’avons pas vue, dit Jahel.

— Il faut donc, reprit l’abbé, qu’elle se soit remise en route quand la nuit était déjà