Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/350

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— Je ne parlais qu’au temporel, dit le barbier.

— Monsieur le curé, dis-je à mon tour, M. l’abbé Coignard, mon bon maître, ne déraisonne point, et il n’est que trop vrai qu’il a été assassiné par un juif, nommé Mosaïde.

— En ce cas, répondit le curé, il y doit voir une faveur spéciale de Dieu, qui voulut qu’il pérît par la main d’un neveu de ceux qui crucifièrent son fils. La conduite de la Providence dans le monde est toujours admirable. Monsieur Coquebert, puis-je aller à mon clos ?

— Vous y pouvez aller, monsieur le curé, répondit le barbier. La plaie n’est pas bonne ; mais elle n’est pas non plus telle qu’on en meure tout de suite. C’est, monsieur le curé, une de ces blessures qui jouent avec le malade comme le chat avec les souris, et à ce jeu-là on peut gagner du temps.

— Voilà qui est bien, dit M. le curé. Remercions Dieu, mon fils, de ce qu’il vous laisse la vie ; mais elle est précaire et transitoire. Il faut être toujours prêt à la quitter.

Mon bon maître répondit gravement :

— Être sur la terre comme n’y étant pas ; posséder comme ne possédant pas, car la figure de ce monde passe.