Page:Anatole France - La Rôtisserie de la reine Pédauque.djvu/354

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précisément ce qu’il vient de faire à mes yeux, dans la calèche où il vit retiré, pour ne point partager le lit et la table des chrétiens.

Je me taisais, étonné par de telles rêveries ; mais cet homme extraordinaire me parla avec une éloquence qui ne laissa point de me troubler.

— Pourquoi, disait-il, ne vous laissez-vous pas éclairer des avis d’un philosophe ? Quelle sagesse, mon fils, opposez-vous à la mienne ? Considérez que la vôtre est moindre en quantité, sans différer en essence. À vous ainsi qu’à moi la nature apparaît comme une infinité de figures, qu’il faut reconnaître et ordonner, et qui forment une suite d’hiéroglyphes. Vous distinguez aisément plusieurs de ces signes auxquels vous attachez un sens ; mais vous êtes trop enclin à vous contenter du vulgaire et littéral, et vous ne cherchez pas assez l’idéal et le symbolique. Pourtant le monde n’est concevable que comme symbole, et tout ce qui se voit dans l’univers n’est qu’une écriture imagée, que le vulgaire des hommes épelle sans la comprendre. Craignez, mon fils, d’ânonner et de braire cette langue universelle, à la manière des savants qui remplissent les Académies. Mais plutôt recevez de moi la clef de toute science.