Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donnait à l’eau et flottait, mollement soutenue par sa robe. Sa tête couronnée d’herbes et de fleurs reposait sur l’onde comme sur un oreiller. Le ruisseau et les arbres du bord offraient une teinte pâle et verdâtre que reflétait le visage de la jeune fille. Ses yeux exprimaient l’étonnement ingénu de la folie. Tandis que je contemplais ce tableau de tant de grâce et de pitié, j’entendis une voix fraîche qui chantait avec d’étranges distractions et des interruptions soudaines : Adieu, mon beau navire !… Cette romance, qui en tout autre moment ne m’aurait peut-être pas touché, me déchira les nerfs et me fit éclater en sanglots. Le chant cessa. Je frissonnais encore. Le bruit d’une porte qu’on ouvrait me fit tourner la tête, et j’aperçus, dans l’embrasure de cette porte, une jeune fille, vêtue de blanc comme Ophélie, blonde comme elle et comme elle portant des fleurs dans ses bras. À ma vue, elle poussa un léger cri et s’enfuit.

Pendant des jours dont je ne sais point le compte, je revis Ophélie et cette jeune fille qui lui ressemblait. Je relus, jusqu’à le savoir par cœur, le récit de la reine dans la pièce de Shakespeare : « Il est au bord du ruisseau un