Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/217

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récité un jour avec le général Miollis le 4e Livre de l’Énéide, ils avaient tous deux fondu en larmes. La rime lui rendait le vers moderne insupportable. Il la trouvait barbare, bonne seulement à soutenir l’attention débile d’hommes grossiers et ignorants, et à satisfaire des oreilles incultes en marquant pesamment la cadence. Il conjecturait que ce retour régulier des mêmes sons avait été à l’origine un moyen mnémotechnique pour des êtres qui, faute d’habitude, n’apprenaient pas facilement. Ce qui ne l’empêchait pas de goûter fort les vers de La Fontaine, de Voltaire et de Parny. Il s’en tenait là, ignorant totalement les poètes romantiques. De la prose contemporaine, il ne connaissait que ce qui traite de politique et d’histoire. Les Mémoires d’Outre-Tombe, mal reçus du public, déplurent particulièrement à M. Dubois qui reprochait à Chateaubriand l’outrance du langage et le vide de la pensée.

Un goût si sévère n’était guère communicatif. D’ailleurs, le goût se forme tard chez les hommes ordinaires et seulement par une expérience longue, parfois pénible. Le goût étant le sens de l’agréable, il s’affine dans la souffrance. Le grand vieillard qui voulut bien s’intéresser