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Dragon par une rue étroite, sous une voûte où se tordait un effroyable dragon. Il existe encore ; c’est un morceau d’un très bon style Louis XV. On l’a peint en vert. Il serait plus beau dans le gris de la pierre[1]. Au temps lointain dont je parle, il était peint d’un rouge vif qui en augmentait l’horreur. Et il semblait que sa gueule enflammée fît un vacarme épouvantable, car, en s’en approchant, on entendait un bruit auprès duquel celui des moulins à foulon, qui effraya tant Sancho Pança, passerait pour un doux murmure. Ce tapage étourdissant était produit, à la vérité, par des centaines de marteaux qui battaient le fer ensemble. Ce passage, habité par des cyclopes, est hérissé de grilles peintes en rouge comme le dragon de la voûte. Nous cheminions à travers ce fer retentissant. L’aventure promettait d’être assez merveilleuse. Enfin, vers le bout du passage, au numéro indiqué par La Chesnais, nous poussons une porte et nous pénétrons dans des ténèbres gluantes, nous respirons une odeur de moisissure et

  1. Mais voici qu’un Parisien curieux des antiquités et illustrations de sa ville me dit qu’il ne faut pas rêver sur ce dragon, qu’il est en plâtre et moins ancien qu’il n’a l’air.